Je ne chuchote pas, je leur parle !

Il fait super beau en cette fin de matinée de Janvier. Ma leçon est terminée ! Tu es à l’arrêt, rênes abandonnées, je viens de clore ma critique, je me tais, enfin… le gazouillis des oiseaux prend le relais et envahit la carrière.

Le soleil filtre au travers des branches dénudées des arbres et réchauffe l’ambiance hivernale. Le sol n’est pas très bon, il a beaucoup plu ces temps-ci, je me suis réfugié dans le coin à peu près sec et plat pour travailler.

 La leçon ne s’est pas très bien passée ! Toi, tu n’as pas tout compris, mais franchement, tu n’as pas mis trop de bonne volonté, bien souvent tu faisais le mulet… et ta cavalière, la pauvre, éprouve de grandes difficultés à établir la connexion avec ta bouche ! Vous avez du mal à vous comprendre. Elle n’ose pas. Elle a peur de te faire mal ou de te gâcher, elle est pétrifiée par le mauvais souvenir de vos premières rencontres.

Quant à nous deux, nos premiers échanges avaient été très compliqués ! Je me souviens, il y a six mois de cela, tu étais ingérable, dangereux dès le montoir, tu ne supportais pas que ta cavalière t’approche, tu étais dans un état de stress total, l’œil hagard, la face convulsée, prêt à te mettre debout dès qu’une main t’approche. Tu nous échappes à plusieurs reprises… Récupéré, je te prends à la longe, tout près de moi, au pas, calme, je te parle un peu comme à un bébé, c’est idiot ! Mais très vite, tu m’expliques « qu’ils » ils ont dû te mettre un bonnet pour rentrer dans les stalles de départ, et cela, tu ne le veux plus, tu as eu trop peur. Très rapidement, je sens qu’au bout de ma longe tu te relâches, tu t’assoupis même, tes paupières s’entreferment, tu es bien !

Que de progrès depuis !

Tu es magnifique Oryvil ! Grand pur-sang anglais de 7 ans, cheval de courses dans tes jeunes années, Seigneur fier et d’aplomb sur tes quatre membres, oreilles tendues vers moi ! Tes bons yeux tendres me demandent de m’approcher.

Je ne suis pas monté à cheval depuis près d’un an… Foutu virus ! J’ai pris du gras, je me sens lourd, engoncé. Mais, je ne peux résister à l’appel de ton doux regard et je prie Marine de bien vouloir te prêter à moi.

Je suis surpris de monter facilement. Je me pose tout doucement sur ton dos. Je suis bien sur toi, tu es parfaitement adapté à ma taille. La selle,  très confortable assure un lien parfait entre nous. Je trouve tout de suite ma place sur ton dos.

J’ajuste mes rênes. Tout de suite, tu me fais comprendre que tu n’apprécies pas du tout la main, même la mienne ! Petits coups de tête, la lèvre inférieure qui claque, encolure creuse…

Nous partons. Tu réagis peu à mon toucher de jambes, mes chevilles deviennent électriques ! Alors tu gicles. Ces « petites-attaques » à la Baucher sont vraiment irrésistibles.

Malgré ton pas « de légionnaire », tu portes au vent, tu refuses ma main. Je ne cherche pourtant pas à te tirer dessus pour te coincer et forcer ta tête dans une position plus académique, mais simplement à établir un léger contact, une petite connexion pour commencer à parler avec toi !

Toi, tu réagis vivement, tu montes la tête et tu l’agites en désordre. Mes mains tant bien que mal suivent tous les mouvements de ta bouche en essayant de ne surtout pas te perdre. Les petites-attaques de mes chevilles te maintiennent dans un pas très actif, espérant que tu tendras ton encolure sous la poussée de tes hanches. Mais rien n’y fait, tu restes désespérément encolure renversée, « de cerf ».

Je tente de « peigner » mes rênes, espérant que le doux glissement de mes doigts sur les rênes te décontracte… mais c’est presque pire. Les deux rênes resserrées au-dessus du garrot pour être tenues, séparées par un doigt, dans une seule main, cela t’exaspèrent.

Je hasarde des flexions latérales de mâchoire et de nuque, mains hautes et décalées, rênes parallèles, à la d’Orgeix… Rien de mieux.

Alors, j’essaye les mêmes flexions latérales de mâchoire et de nuque avec une rêne d’ouverture et l’autre enveloppante sur lesquelles on résiste, doigts fixés sur les rênes. Toujours le même mécontentement de ta part.

Que t’efforces-tu de me dire ?

Je remarque que c’est toujours le simple rapprochement de mes mains qui t’irrite. Je ne peux les resserrer, même un peu, sans te voir t’agacer. Pourquoi ? Que s’est-il passé ?

Serait-ce le souvenir de cette vieille habitude des jockeys qui, ajustent leurs deux rênes dans une main pour frapper à coups redoublés et déclencher maladroitement « un bout-vite » à l’abord du  « poteau » ?

Ou encore, un arrière-goût amer de cette maladie du pseudo cavalier dit professionnel trop pressé, et plus soucieux de son chiffre d’affaires que de ton bien-être, qui consiste à joindre les deux rênes dans une main, dans l’autre, la cravache en « cierge » pour te frapper sur la tête, et te faire descendre quand tu t’es mis debout, excédé par l’utilisation abusive de ces maudites rênes coulissantes, improprement appelées « rênes allemandes », qui t’ont coincé trop longtemps pour te faire céder, en  t’interdisant de déplier ta grande encolure pour assurer ton équilibre et marcher avec aisance ?

En tout cas, je comprends que tu me dis de ne pas resserrer mes mains.

Et là, tout change ! J’écarte mes mains, exagérément même, et tout de suite ta tête et ton encolure s’engouffrent dans le couloir de mes rênes, ta bouche vient à la rencontre de ma main moelleuse !

Maladroitement, je reprends un peu de cuir pour établir un contact plus franc ; aussitôt tu te fâches. Très vite, je laisse filer… et tout redevient moelleux.

Nous sommes toujours au pas actif.

Tu prends confiance. La discussion s’engage…

Cependant, mes rênes sont trop molles, je n’ai pas de précision, je ne peux  intervenir sur ton équilibre et surtout je ne peux déclencher chez toi ces flexions de mâchoire génératrices de décontraction totale.

Alors, utilisant ta confiance naissante, je raccourcis un tout petit peu mes rênes, mais aussitôt, je t’offre une remise de main et je laisse filer le peu de cuir que je t’avais repris. Je recommence plusieurs fois ; raccourcissement, remise de main, remise de rênes… peu à peu, ta confiance s’accroît, alors, en plus, je divise les appuis : je procède à de petites ruptures de contact de la main intérieure. Ta mâchoire devient moelleuse, tu fais sauter ton mors avec ta langue dans ta bouche, ta nuque se relâche…. Ton encolure devient souple mais reste ferme à sa base !

Je commence à nager dans le bonheur !

J’évolue dans les parties sèches de la carrière en enchaînant de grandes courbes. Toi, toujours en flexion de mâchoire et de nuque, l’encolure étendue, tu râles un peu à chaque changement de plis. On négocie tout cela en coordonnant une petite remise de main suivie d’une ou deux ruptures de contact, et tu reprends ta belle locomotion souple et étendue.

Je suis vraiment bien sur ton dos. Je sens tes hanches s’abaisser peu à peu à chaque changement de courbe. Ma jambe intérieure prolonge tes flexions de mâchoire, nuque et encolure par une flexion dorsale… toute la ligne du dessus se plie entre mes doigts et ma jambe, tu remontes ton ventre.

Il est temps de prendre le trot. Un vrai trot de travail, très lent et décontractant, rien à voir avec ce trot de travail hystérique et acharné des « dresseuses mécanistes » !

Nouveau désordre !

Je reprends aussitôt le pas, et je décompose….. Pas cadencé, flexions sur une encolure étendue… Tout va bien à nouveau. Alors, j’augmente un peu la difficulté par un pas un peu plus actif, toujours en flexion, toujours encolure étendue. J’ajoute, ensuite, des changements de plis et changements de main…

Ça passe ! Tu es d’accord….  

Nous reprenons le trot de travail.

Tu as confiance, tu as compris que je ne te trahirais pas, que je ne te ferai pas de mal, que je ne te demanderai pas l’impossible ou le contre nature, que je ne te forcerais pas, longtemps, dans une même posture. Tu te laisses faire, tu t’abandonnes et comme au pas, je joue avec toi.

Grandes évolutions en courbes qui s’enchaînent, changement de plis souples et moelleux, ton trot devient aérien et de plus en plus confortable, je flotte !

Ton encolure est de plus en plus flexible mais reste pour autant bien ferme à sa base, je tente un très léger relèvement de sa base… Tu te rassembles !

Il ne faut pas abuser des bonnes choses, j’abandonne mes rênes, tu t’arrêtes, tu tournes ta tête vers moi et m’envoie des mots d’amour avec ton bon œil de gentil cheval trop longtemps abusé. Mais je ne suis pas dupe, tu attends aussi, mon bonbon à la banane bio de République Dominicaine !

Merci à Marine Dewez pour m’avoir prêté Oryvil

Merci a Amanda Gabriere pour m’avoir aidé à apprivoiser Oryvil

Merci à Amandine Schmutz pour sa confiance et m’avoir recommandé à Marine, Amanda et… Oryvil.

Et merci a Oryvil pour sa complicité.

Jean-Michel Rousseaux

Ecuyer – Instructeur Diplômé d’Etat BEES II Saumur

Master Instructor International Group For Equestrian Qualifications

Ancien sous-officier de l’École de Cavalerie de Saumur

Note : J’organise des stages dans toutes les régions. Si vous souhaitez participer avec votre cheval, il vous suffit de regrouper 5 couples cavalier/cheval autour de vous et je me déplace dans l’écurie de votre choix. https://jmrousseaux.com/stages/

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